Demain je prendrais la route, je prendrais la route vers ce que j’appelle en ce moment une nouvelle page dans ma vie. J’ai obtenu mon baccalauréat, j’étais plus chanceux que le fils des voisins et fus accepté dans un établissement beaucoup plus prestigieux que la faculté, c’est ce que disent les gens en tout cas et c’est rassurant dans le sens où c’est mon futur qui est en question, je ne prends pas de risques concernant ma vie.

Cet été était le plus épuisant que je n’ai jamais vécu, non parce que j’ai fait la traversée du Maroc en passant les concours, mais plutôt parce que j’ai vécu un suspens presque éternel, en attendant les résultats du baccalauréat, puis les résultats de présélection pour les concours, puis les résultats des concours, puis les listes définitives…etc.

Quand on envoie ses dossiers de candidature aux écoles supérieures, on ne rate pas d’occasions : j’ai envoyé mon dossier à la faculté de médecine au même temps qu’à l’école d’ingénieur qu’on m’a conseillée, par ce que comme vous le savez la clé du bonheur – disent toujours les gens – c’est d’être un ingénieur ou un médecin, je préfère être « Youssef l’ingénieur » au lieu de « Youssef » toute froide, le prestige est une chose très importante pour les élèves marocains, on ne prend pas de risques comme je l’ai déjà dit.

J’imagine ce monde de l’université, je ne pense pas qu’il pourrait ressembler à ce que je voyais dans les films américains (…). A ce que racontent les étudiants  marocains qui ont bien séjourné à l’université, rien ne serait si joli là-bas ! On m’avait dit qu’à l’université tout le monde est méchant et imprévisible, ça veut dire que ton meilleur ami pourra devenir ton pire ennemi, j’étais au lycée et ce n’était pas moins mauvais que ça…

Ce qui me dérange actuellement, c’est le fait que je devrais mener ma vie tout seul : calculer mes dépenses, faire le linge et préparer mes repas, tout en m’intégrant dans ce nouveau milieu ! Une grande ville, très peu d’argent et beaucoup d’espoirs, je vivais de l’espoir depuis des années je ne sais pas si ça marcherait cette fois, j’ESPERE !

Mais, il faudra le dire, c’était le temps pour sortir de ma cachette, je me plaignais de ma vie par ce que c’était toujours « faute » de l’autre : faute de mon père qui n’est pas millionnaire, faute de ma mère qui n’est pas une femme d’affaires, faute de mes amis du quartier qui ne connaissent que Messi et Rolando… (Oui Rolando). Faute de mon grand-père qui ne laissera derrière lui que sa djellaba de coton. Bref, c’est la faute de mon destin qui ne m’a pas prévu de réussite dès ma naissance. Cela n’est que le constat, la solution serait d’aller à l’université où je serais MOI-MÊME, et pas ce que ma société ou mon école ont  fait de moi, c’est le bon moment pour tourner la page et de remettre mes compteurs à zéro.

En effet, en regardant l’autre partie de cette histoire je vois une grande opportunité pour moi et je pourrais finalement « rêver » ! Loin des yeux de mon entourage qui nous enseigne à échouer par ce que les autres ont eux aussi, échoué ! C’est temps pour moi de me permettre un peu de Moroccan Dream, par ce qu’on en tous cas à ce que je sais : les marocains ne rêvent pas ! Le rêve ultime de tout marocain normal c’est d’être mieux que son voisin qui s’est acheté une voiture économique, et d’avoir suffisamment d’argent pour se marier avec la plus belle fille au quartier d’à coté, personne ne veut changer le monde, personne ne veut changer le pays, ou au moins…sa vie !

C’est décidé, je profiterais de ce nouveau séjour, depuis l’enfance on me disait que l’année d’après sera difficile, depuis la crèche ! Et ce n’est jamais le cas, par ce qu’écouter ce que disent les gens c’est se mettre en pause et attendre « ce qui va se passer » et quand on attend, bien évidemment rien ne se passe, soit vous nagez contre le courant, vers votre destination, soit vous le suivez là où il voudra vous emmener.

Je nagerais contre le courant… et vous ?